mardi 29 avril 2008
1er mai
Vous en dites quoi?
Un texte de Clélie !
Merci pour ce magnifique écho sur les femmes indiennes,
voici quelques morceaux de vie de femmes éthiopiennes, femmes presque inaccessibles pour la petite blanche. Petite blanche, qui pour elles, semble beaucoup trop proche de la prostituée. Petite blanche qui déteste ces femmes qui ne la laisse jamais tranquille par leurs regards, ricanements ou paroles. Qui les déteste souvent mais les admire profondément... admire leur force, leur force a toute épreuve.
Ethiopie, portrait de femmes, paroles
1er tableau: feux d’artifice
”What do you want to drink? Do you want to eat something? Whatever you need, tell me, euchi?”
Notre premier contact ; parfaite petite femme d’intérieur… «Ma maison est la tienne, sister », mais surtout reste sur le canapé, je m’occupe de tout…
Plus tard je découvre qu’en débarrassant mon assiette, je la déshonore même…
Elle est belle, souriante, toute fluette. Menue avec un ventre rond, rond de 6 mois.
Feux d’artifice, éclats de rires, rires d’enfants, c’est l’anniversaire de la petite, la princesse a trois ans.
La fille de son mari fête ses trois ans. Eux ont fui la mère, mère prostituée, mère qui les maltraitait.
Résurection, la petite a trois ans, une nouvelle maman, une nouvelle vie, enfin. La maison sent bon l’injera, les feux d’artifice sont lancés…
Magicienne du bonheur, son rôle lui va a merveille, elle n’en fera pas un écart de la journée… feux d’artifice.
Invités repus, petite approvisionnée en câlins, maris en bières, sourires a volonté.
Le soir, dans ses sourires, elle laissera la gente masculine s’en aller vers la vie nocturne. Discretement, elle me demandera de rester avec elle. Petite souris souriante…
Soirée seules, soirée féminine ; 8 bières, 2 paquets de clopes.
22h : Confidences : sa famille a rompu tout lien avec elle depuis qu’elle vit avec cet homme, cet homme farenge, qui n’est même pas si riche. Solitude, solitude de la ville.
22h30 : elle aussi se sent farenge dans cette ville. Ville où l’on parle amharique, le tigréen familial appartient décidément au passé, le bafouillage au présent.
23h : Sanglots : « je ne peux pas laisser mon mari et sa fille, ils ont déjà tellement souffert dans le passé ».
minuit : apogée : je lui promet de ne jamais décider de vivre en Ethiopie, elle arrête de pleurer.
Apres minuit, nous ne parlerons plus que crûment du sexe et des hommes.
2 heure du mat : Feux d’artifice.
Arrivée du feminisme ?
« moi aussi, je peux cuisiner de l’injera !, tu me crois pas ?»
Copain homme
2eme tableau : mariage rouge
Elle est rouge, toute rouge quand elle se marie.
Elle est debout sur une table, raide dans sa grande robe blanche.
Parfaitement aligné, sur cette même table, son mari est figé. Ils sont grands, perchés, perdus dans un grand cérémonial.
Signal musical,
Agite les mains en l’air.
La musique s’accélère,
Prends la main du mari, glisse le couteau entre les mains conjugales et agite le devant la foule
La flûte entre en piste,
Coupe le gâteau d’une ligne droite. Non, ne lâche pas la main du mari !
Fausse note du clavier,
Heure de nourrir les demoiselles d’honneur, et en rythme.
Les chanteurs s’excitent,
Et une bouchée pour le mari
La trompette s’en mêle,
Non mais ouvre la bouche, c’est ton tour!
Cacophonie totale,
Tenir son verre penché, pencher les autres verres, faire boire le mari, les demoiselles d’honneur, mais non les garçons, et le mari, oui, maintenant le mari, maintenant ! Mais non, croise le verre, croise le, oui, voila, comme ça !
Sur les planches, la mariée a ses souffleurs, elle ne s’en sortirait pas sinon.
Solo de clavier,
Echange des alliances. Unique regard vers son mari depuis le début du cérémonial, regard furtif, regard timide, regard ?.
Apogée du cérémonial,
Premier baiser en public depuis leur vie de couple, les lèvres de son mari lui effleurent le front.
Elle éclate comme une tomate.
« le jour où tu nous rapporteras des sous, reviens, mais là on en perd a cause de toi. Alors dégage, ou prostitue toi ! »
Paroles d’une prostituée à une farenge qui se trémousse ; Addis by night…
Un dimanche à la campagne
Un dimanche à la campagne.
Les femmes travaillent aux champs,
Les hommes catent à l’ombre d’un arbre.
Classe moyenne émergente éthiopienne ?…
Tu attends qu’elle veuille bien redresser sa tête, tu ne sais plus quelle position adopter, tu te tiens droite pour te donner une contenance. Assise derrière son bureau, elle finit par te jeter un regard, tu en déduis alors que tu peux répéter ta question.
De son bureau, elle hurle les noms des personnes qui viendront à elle.
Elle arrive en voiture au travail.
Le gardien qui lui ramène un verre d’eau, lui, n’aura même pas le droit à un regard.
Sa maison en construction depuis bien longtemps demeurera encore inhabitée cette année, le prix du béton augmente tellement…
Conseil de farenge à farenge :
« Ne fais pas comme moi, ne décide jamais de vivre en Ethiopie. Ici, je suis soit un sac à fric, soit un sac à foutre, ça dépend des saisons! »
La forme diffuse
Moi, je suis une forme diffuse ! Corps de fille, je me comporte comme un mec. Je suis indéterminée. On se comporte alors sans limite avec une forme diffuse…
mercredi 23 avril 2008
Des nouvelles d'Europe...
après ce long temps d'absence j'essaye de me bouger pour donner quelques nouvelles...
Je sors de deux mois de vacances, car en Allemagne entre les deux semestres ils ont deux mois. J'en ai "profité" pour faire mon stage court, donc c'est plutôt cool, même si j'avais absolument pas envie de bouger de Freiburg.
J'ai donc fait ce stage après de la vice-présidente du conseil régionale d'IDF chargée de l'aménagement du territoire, ou plus précisément auprès de sa "chargée de mission". Même si vous étiez certainement tous très loin de la France au moment du passage de la flamme olympique à Paris, peut-être avez vous entendu parler de cette anecdote : une élue verte qui se promenait dans les environs de la flamme avec un extincteur (bien sûr, par hasard !)... Et ben c'était elle !
Le jour de mon arrivée au conseil régional, ils m'ont demandé où j'étudiais précisément cette année (ils savaient que c'était en Allemagne mais ils se savaient pas où). Quand j'ai dit "Fribourg", ils m'ont tout de suite répondu : "ok, tu vas bosser sur les éco-quartiers". C'est fou comme ça a la classe d'être de Fribourg dans les milieux écolos. Tu peux crâner : "ouais, moi j'ai pleins de potes qui habitent à Vauban..." [Vauban, c'est un des éco-quartiers de fribourg, le plus connu d'Europe avec Bed-Zed à Londres] ; "T'imagines pas le nombre de vélos..." ; etc, etc. T'y habites depuis 3 mois seulement, mais tu es quand même leur "super envoyé spécial dans La Capitale Internationale de l'écologie" ! Bref, sur le fond, j'ai fait des comparaisons européennes des éco-quartiers, ce qui m'a amené à me pencher sur l'urbanisme, un domaine que je connaissais assez mal et que j'ai vraiment découvert par le stage, c'est vraiment super intéressant ! C'est fou de voir à quel point la conception d'un quartier et d'une ville peut influer sur le bien-être des gens qui y vivent... Et c'est fou à quel point les choix politiques traduits dans la conception urbanistiques sont importants !
Bref, j'ai fait un stage vraiment intéressant ; seul regret : comme c'était un stage court, j'ai pas pu vraiment bosser avec les gens avec qui j'étais, cad que j'étais un peu à l'écart de ce qui se faisait pk quand on est là pour 6 semaines, on n'a pas trop le tps de s'insérer à fond, de commencer des trucs longs, etc. C'est dommage, d'autant plus que Mireille Ferri (la fameuse vice-présidente verte) a commencé un travail de fond dans le cadre de la définition du "schéma directeur de la région IDF" (SDRIF), un travail commencé il y a quelques années, qui a vocation à prendre en compte le long terme (2030 au moins). Elle travaille notamment à la définition du concept de "nouveau quartier urbain", qui est, en gros, un quartier où tous les principes du "développement durable" (au sens le plus large qu'il soit) sont pris en compte (donc pas seulement un "éco-quartier") , pour en financer la construction en région parisienne. Elle travaille aussi sur la densification de certaines zones urbaines, avec des objectifs environnementaux et sociaux, mais aussi pour faire en sorte qu'à terme, la région parisienne soit un ensemble de "réseaux", et pas seulement "Paris au centre, la banlieue autour"... Je trouvais ça intéressant, mais je pouvais pas franchement en 6 semaines étudier de près tout le travail qu'ils avaient fait depuis plusieurs années, pour vraiment savoir où ils en étaient, et donc mieux m'insérer dans ce qu'ils faisaient...
Le stage, c'était une partie de ce que j'ai fait pendant mon passage de deux mois en France. Un autre truc auquel j'ai passé du temps, c'était la campagne municipale (ça aussi, ça a dû vous paraître loin, pour ceux qui étaient pas en france !). Dans ma ville, Vanves, il y a un groupe depuis plusieurs années, qui associe des Verts et des associatifs, notamment des milieux "alternatifs". Je les connais bien, et ai parfois milité avec eux. Quand ils réfléchissaient à la définition du programme (car ils se présentaient à la municipale), j'ai envoyé qq idées par mail, mais c'est tout. Et puis quand ils ont commencé à constituer leur liste, ils ont eu besoin de monde, alors ils m'ont demandé d'être sur la liste. A ce moment là, je savais pas encore que je serais sur Paris pendant les municipales, mais j'ai quand même dit oui pour les aider. Et, comme ils voulaient mettre un peu de jeunesse en haut de la liste, ils m'ont demandé dêtre 5e ! Ok, pas de problème, ai-je répondu. Le fait de me présenter à une élection me posait certes un problème idéologique, mais à la limite c'est un problème que je me pose à chaque élection et à chaque fois je me dis : "1- profitons de l'élection pour diffuser nos idées ; 2- même si je suis en désaccord avec le système électoraliste, représentatif, étatiste et tout ce qu'on veut, la gauche molle c'est moins pire que la droite dure". J'avoue quand même que j'ai refusé d'être sur la liste de fusion au deuxième tour (fusion entre nous et la liste PS-PCF). Tout ça pour dire que je me suis retrouvé un peu par hasard 5e d'une liste électorale (qu'on peut classer en gros dans la "gauche radicale et écologiste"). Et comme au moment des municipales, je faisait mon stage à Paris, je me suis retrouvé au coeur de la campagne... Là aussi, j'étais non seulement leur gage "jeunesse", mais aussi leur "super envoyé spécial de Fribourg". Ils m'ont par exemple recruté pour aller expliquer au PS ce qu'était un éco-quartier, car il y avait la possibilité d'en construire un à Vanves (ce que le maire de droite refusait), et le PS était partant sur le principe, mais n'avaient aucune idée de ce que ça pouvait être... Je vais pas m'étendre sur le parti socialiste, mais le fait de les avoir côtoyé de près pdt cette campagne m'a fait comprendre pourquoi ils perdent !
Bref, cette campagne a été intéressante et même marrante. Le seul problème, c'est qu'on a misérablement perdu ! Enfin pas "nous", car on a fait 8 %, ce qui est bien pour ce genre de listes ! Par contre la liste de fusion de la gauche au deuxième tour n'a fait que 45 % (le maire de droite a donc été réélu avec 55 %)... Vanves, c'est une ville de banlieue de la petite couronne, qui a été assez populaire mais qui s'embourgeoise d'année en année à cause du prix du loyer qui monte à Paris (les classes moyennes aisées se cassent vers la banlieue proche), et de la politique du maire de droite depuis 2001 (pas de construction de logements sociaux, sauf pour rester à 23% -pour la paroisse locale les ferait chier sinon- alors que la demande voudrait qu'on aille plutôt vers 30 % !). On va pas tout expliquer par l'embourgeoisement de la ville ces dernières années (ni par le fait que le maire ait promis plusieurs fois pendant la campagne aux musulmans de notre ville -qui sont assez nombreux- qu'il allait construire une mosquée, alors que c'était pas dans son programme, ce qui veut dire qu'il ne le fera pas !). On va pas non plus expliquer la défaite par le faite que le candidat de droite ait eu une liste de soutien avec des morts et des bébés ; ou qu'il a distribué dans la zone pavillonnaire de notre ville un tract où il "démontrait" que la gauche allait raser toutes les maisons pour construire des tours ! etc, etc. [Notre maire est un pote de Santini...] Mais ça a bien sûr quand même joué un peu.....
Voila, cette page politique est terminée ; je suis de retour à Fribourg depuis une semaine, et ça fait du bien. Déjà, je suis content de faire une trêve de politique (même si je vais m'y remettre pour aider à l'organisation du "mois de l'utopie" qui consiste à organiser pendant un mois pleins de trucs pour "vivre notre utopie" !). Content aussi de retrouver des anciens potes Erasmus, que j'avais pas vu pendant deux mois, et de reprendre qq habitudes (même si je hais la routine !) ; et puis aussi de rencontrer de nouveaux erasmus, arrivés ce semestre. Content aussi de revoir mes collocs, avec qui les choses ne pouvaient se passer mieux, de faire un peu la fête avec eux, mais aussi de glandouiller autour d'un café. Enfin, content de retrouver cette ville vraiment très agréable à vivre, alors même que le temps se réchauffe et qu'on commence à sentir un début de printemps après un hiver assez froid. D'ailleurs, on a un balcon ! (un grand luxe !) C'est la première fois de ma vie que j'ai l'occasion de planter des trucs, donc je me suis lâché ! : tomates, plein de types d'herbes (légales!), salades et pleins de trucs, et j'attends avec impatience de manger gratis, bio et très local (balcon) !
Bref, la vie cool !
Voila, un petit aperçu de ma vie ces derniers temps ; je me rends compte que c'est frustrant de vouloir parler de plein de trucs, mais de pas pouvoir parce que ça serait trop long ! Une seule solution : me pointer un peu plus souvent sur le blog, et puis ça me permettrait aussi de parler aussi d'autre chose que de ma vie !
bisous à vous tous !
Sylvestre
dimanche 6 avril 2008
Hé Didi..
C’est un (très modeste) hommage, ou une simple pensée à toutes les femmes indiennes, dans leurs jeans ou leurs saris, que j’ai croisé ici, qui m’ont méprisé ou sourit. Que j’aime ou que je déteste selon les jours. Que je fascine ou que je révulse.
Tableau 1
Elle marche comme une actrice Bollywood. Perchée sur ses talons, elle fait doucement onduler ses hanches sous sa kurta. Ses cheveux de princesse, noir et raide, marque le rythme, dans un mouvement savamment étudié. Elle a toujours les ongles tellement impeccablement faits. Immenses et vernis. Elle fait des mines, elle fait des moues. Tous les garçons sont amoureux d’elle. Elle savoure l’effet qu’elle provoque. Elle sourit, et son visage s’illumine. Son visage à la peau qu’elle trouve sans doute trop foncée, trahissant un peu l’identité qu’elle porte.
Aujourd’hui elle est sur l’estrade, face à la classe. Elle présente le projet qu’elle a fait pour le cours de socio sur la modernité indienne. Elle parle dans cette langue qui m’est familière m’est toujours inconnue (sans doute comme tout le reste de ce pays).
Et puis sa voix se brise, des larmes. La prof lui donne de l’eau et lui demande de continuer, avec une voix douce mais ferme.
Quelque chose se passe dans la salle.
L’explication me parviendra plus tard. Par la traduction de la prof, qui s’excuse de ne pouvoir transmettre qu’imparfaitement ce qui vient de se passer.
Elle vient simplement de se raconter. De raconter sa modernité. Dalit. D’une caste chargée de nettoyer la merde des autres.
La mort de son père. Une famille de dalits sans homme. Moins que rien parmi les moins que rien.
Sa mère qui abandonne le salvar kemis (la tenue traditionnelle). L’éducation, le mariage inter-caste de sa plus grande sœur, qui compromet les chances de mariages pour les plus jeunes sœurs.
Son envie d’être « moderne ». D’échapper à son identité qui lui colle à la peau. Par son nom même. Sa culpabilité aussi à être « moderne ».
Les réactions fusent. Les castes se dévoilent dans la classe. Certains garçons dalits qui expliquent qu’il ne faut pas pleurer, jamais, qu’il faut simplement se battre. Que pleurer s’est accepter ce qu’on a subit.
Elle répond que c’est son droit. Que tout ne peut pas être rationnel. Que cette émotion là et aussi légitime.
Et après tout, les castes n’ont rien de rationnelles.
Tableau 2
Elles sont belles dans leurs vêtements de couleurs. Des jupes à froufrous, roses, jaunes, bleues, à fleurs ou à fruits. Un voile sur la tête. Couvertes de bijoux, bracelets aux chevilles, aux poignets, boucles d’oreilles, boucles de nez. Leurs visages et leurs mains tatouées, ou décorées au hennés. Elles ne portent pas le saris mais la tenue traditionnelle du Rajasthan. Sur leurs blouses de jolis petits miroirs.
Assises par terre elle prennent leurs petits déjeuners, à l’ombre d’un tas de brique et d’un tas de sable.
Un bébé dort à l’ombre, pendant que l’autre tète sa mère qui continue tranquillement à papoter…
L’équation est simple.
Les briques et le sable doivent être transportés au deuxième étage du bâtiment. Sur leurs têtes.
Toutes la journée, pendant quelques semaines elles feront les allers retours, droites et menues, avec ces énormes sacs sur la tête.
C’est grâce à la tête des femmes indiennes que ce pays se construit. Elles transportent de quoi faire des routes entières ou des immeubles rutilants.
Elles regardent les blanches et les blanches les regardent, fascination mutuelle. Communication impossible. Sourires timides.
Et puis l’une d’elles, un peu plus imposante, un peu moins timide ose. Elle se lance. Elle demande à mon amie que je la dépose en moto un peu plus loin.
J’accepte. Frémissement d’excitation parmi les Indiennes. L’opération est périlleuse. Les froufrous s’assoient sur la moto, en amazone bien sûr, puisque les motos indiennes sont spécialement conçues pour ça. Ses amies lui tendent ensuite son panier, puis le bébé.
En route… L’indienne s’accroche à mon t-shirt. Elle est fière. Et moi j’ai tellement peur d’abîmer le tout petit bébé que je transporte.
Arrivée à destination saines et sauf. Un peu mal au bras pour moi…
L’indienne descend. Pose le panier en équilibre sur sa tête, cale le bébé sur ses hanches.
Et me lance toute fièrote, avec un petit sourire : « Bye bye.. »
Tableau 3
Enceinte de quelques mois, elle te toise de derrière son bureau. La chaleur est étouffante dans la salle remplie du sol au plafond de dossiers qui prennent la poussière. Les fonctionnaires tamponnent, maussades.
Entre son gros ventre et toi, ton dossier. Trois semaines que tu attends le petit tampon qui t’autorisera à rester dans ce pays…
Elle te regarde, tu la regardes, elle évalue combien elle peut espérer te demander…
Tu t’agaces. Elle se lance et glisse : peut être que tu devrais faire un cadeau pour le bébé…
Tu glisses les sous dans ton passeport, lui tends le passeport, la procédure habituelle…
Elle tamponne, puis râle, parce que tu n’as donné que 1000 roupies…
Tableau 4
Kushumita. Ca sonne comme une pâtisserie trop sucrée. Mais elle est en fière de son prénom, elle t’explique que c’est un nom de fleur (c’est toi qui y comprend rien, avec ton prénom qui veut rien dire)
Elle est bengali, et s’entête à parler dans sa langue natale même en face de toi. L’anglais ça l’emmerde.
Elle est toute en rondeur. Pas un os. Dans sa kurta rose bonbon, elle ressemble tellement aux fameux sweets de sa région. Beaucoup trop sucrés pour moi.
Imposante, écrasante. Elle râle.
Elle a 20 ans et ses parents lui ont trouvé un bon parti. De sa caste évidemment. Bengali évidemment.
Et moi je l’imagine, énorme ogresse, avec son petit mari sur les genoux…
Tableau 5
Elle te croise dans les couloirs. Elle a peu près ton age. Elle pourrait presque avoir l’air gentille.
Elle s’agrippe à la bretelle de soutien gorge qui dépasse de ton débardeur et la remarque cingle. « this is not good »
Tu restes sans voix. Tu voudrais lui dire que tu t’en fous. Que tu l’emmerdes.
Tu voudrais lui demander pourquoi elle aussi elle te rend la vie impossible.
Tu voudrais lui dire que c’est pas cette fichue de bretelle de soutien gorge qui est « not good », mais la force de cette p.. de société patriarcal, dont le plus grand succès est que ce soit les femmes elles mêmes qui assurent le contrôle sur le corps des femmes.
Tableau 6
Elle est grasse. Ses bourrelets dépassent de son sari. Elle est vieille et grincheuse. Tu sais d’avance ce qu’elle pense de toi, la blanche, symbole de tous les vices et de la westernisation décadente…
Elle regarde ta copine qui savoure sa cigarette. Son moment de détente et de liberté. Le court moment ou elle refuse de se soumettre, malgré les regards désapprobateurs. Elle a tout accepté, de porter la kurta, de renoncer aux décolletés, de baisser les yeux dans la rue, mais elle garde le plaisir de la cigarette.
Dans un anglais incompréhensible elle te hurle dessus. Tous les regards se tournent vers vous mais personne ne prendra ta défense. Tu comprends à travers les mots qu’elle est révoltée de voir une fille fumer, et qu’elle exige que ta pote éteigne sa cigarette immédiatement. Sa copine renchérit, regardant la bouteille d’eau sur la table, elle lance : « Et en plus, elles boivent »
Ta colère monte. Tu te tournes vers la grosse indienne, et tu lui dit que tu n’es pas un chien.
Tableau 7
Amrita. Mon amie.
Elle ne marche pas, elle vole, quelques centimètres au dessus du sol. Légère et gracieuse avec son petit corps de danseuse.
On passe des heures à papoter et refaire le monde, et à se raconter ce que vous ferez quand vous serez grande.
Tu lui as promis que tu serais là pour son mariage, mais tu lui as fait promettre qu’elle refuserait un mariage arrangé.
Elle a les cheveux courts, malgré la désapprobation générale, et ses yeux noirs toujours soulignés d’un trait de khôl.
Elle veut apprendre à conduire la moto aussi. Conduire aussi la pulsar « ultimatly male » , histoire de faire enrager un peu les hommes indiens…
Un jour tu l’as vu pleurer, et tu as compris le prix de tout ça.
Et la solitude des indiennes qui rêvent d’autres choses.
Tu te déteste de partir et de laisser toute seule au milieu de ce pays.
samedi 5 avril 2008
Algo habran echo
la France sans Deuleuze, Bourdieu, Godard, Truffaud, Danay, Krivine, Cohn-Bendit, Derrida, Beauvoir, Sartre. Sans non plus Coluche, Mitterand, July, sans les leaders syndicaux qu'on connaît, sans les verts, sans anar de plus de 30 ans, sans les féministes, sans mon prof d'histoire-géo de terminale, sans certains de nos parents, de leurs amis, sans les gens qui nous ont donné envie d'étudier les sciences politiques pour avoir une vision critique.
Imaginez-vous que tous ceux là, vous ne les avez jamais connu, vous ne les avez jamais lu, ni vu leurs production. Personne ne vous a jamais parlé de leur écrits, de ceux qu'ils ont fait, il n'ont jamais contribué à la culture, à la politique de leur pays. Au mieux vous connaissez d'eux des vieilles photos en noir et blanc, portées par leurs mères sur la place de Mai. Il sont soit au fond d'une fosse commune, soit se sont établi à l'étranger et ont du changer de vie, soit il sont ici, mais ressentent toujours les séquelles du traumatisme de la clandestinité ou de l'exil.
Ça ait un peu froid dans le dos non? C'est portant la réalité de l'Argentine.
Il y a 32 ans, le 24 mars 1976, un groupe de militaires dirigé par Videlat, prend le pourvoir au moyen d'un coup d'Etat contre le régime fascisant, décrédibilisé et fragilisé d'Isabelle Péron (la femme de Juan Péron) et de son astrologue avec lequel elle gouvernait. La situation est à la mode en Amérique Latine à cette période, les américains ont déjà aidé Pinochet en 1973 et un groupe de militaires au brésil en 1964 à installer des dictatures de droite dans ces pays. L'Argentine, dans une situation politique plus que trouble (il faudrait un autre post pour expliquer comment ils en sont arrivé là, mais je vous l'épargne pour cette fois) est un des derniers pays sur la liste. Elle connaîtra la dictature la plus dure de tout le continent. Les comparaisons dans l'horreur ne me ravissent pas, mais pour donner un ordre d'idée: si en 30 ans de dictature le Chili recense 3OOO morts et disparus, l'Argentine compte aujourd'hui avec 30 000 disparus en 8 ans de dictature. Toute une génération de militants étudiants, de professeurs, de penseurs, d'activistes, de syndicalistes décimée, exilée ou traumatisée.
Alors le 24 mars, je suis allée défiler avec des amis, pour cet ami économiste, pour mes amis et ceux qui m'ont influencés en France, pour la liberté et la justice, et un peu aussi parce que, durant l'opération Condor (accord entre les différentes dictatures d'Amérique du sud pour la coopération dans la traque des dissidents) la France, qui, elle cherchait des membre de l'OAS, leur a filer un bon coup de main.
Puis, toujours dans le même silence tranquille est arrivé la banderole. Celle qu'on voit dans les journaux et parfois aux infos, quand ils daignent un peu parler d'Amérique du sud. Le drapeau argentin, bleu, blanc, bleu, étiré à l'extrême pour y placer, des deux côté bleus, les photos des disparus. Je ne sais pas combien mesure cette bannière contre l'oubli mais le cotrège qui la portait a bien mis 30 minutes à passer devant moi, qui assise mangeait un chorripan.
A 4 heures, ils ont appelés les gens à se disperser "certains companeros ne peuvent pas accéder à la place." Ça nous semblait court une manif de deux heures mais bon, on a donc décidé de rentrer à la maison en prenant le cortège à l'envers. A 500 mètres de là,un groupe anar cagoulé étirait sa banderole: "Ni dictadura, Ni democracia, Anarquia Ya!" Je dois avouer que ça m'a fait plaisir, le drapeau Argentin étant trop présent dans la manif pour réellement remettre en question le gouvernement (qui y va bien tranquillement pour juger les militaires). En remontant un peu on a croisé tous les groupes Troskistes, le MAS et le PTS entre autres, très nombreux et divisé par quartier qui eux défilait avec beaucoup plus de musique et de tambour, exposant les noms de leurs militants disparu et je vous jure qu'il fesait pas bon être Trosko en 1976 vu la longueur des listes.
La manifestation a réuni dans les rues de la capitale plus d'un million de personnes (chiffres de la police!) et quelque centaines de milliers dans les principales villes. Il faut dire que la plaie est très loin d'être refermée.
La dictature et les généraux qui la conduisaient sont tombés en 1983, lors d'une guerre pour récupérer les îles Malvines aux mains des anglais. La dame de Fer évidemment, n'a pas laissé passer, leur à envoyer toute sa flotte et ses bombardiers; la déroute qui a suivit à été aussi brève que violente. (Ce qui fait à l'heure actuelle des îles Malvines un des territoires les plus militarisé du monde).
Mais 32 ans après, la césure existe toujours entre ceux qui profitèrent de la dictature, pour qui le pays était meilleur, les rues plus propres, moins de vols, moins de gens qui trainent(...et j'en passe) et ceux qui en soufrèrent, qui se cachèrent, qui se taisèrent. Entre ceux qui pense des disparus qu'"Algo habran echo" (ils ont bien dût faire quelque chose de mal pour disparaître ou être emprisonnés) et ceux à qui il manque un frère, une mère, un oncle, un ami dont le seul délit était son affiliation politique.
Pour info, il y a plus de photos et moins d'explications sur mon profil Facebook (que in que soy!)
vendredi 4 avril 2008
première pluie
Et puis mon semestre commence très sérieusement depuis cette semaine, j'ai pleins de trucs à faire et à rendre, ça y est quoi, il faut se remettre à travailler. J'étais pas vraiment dans cette optique là pour l'instant alors c'est pas facile de s'y remettre mais j'ai pas vraiment le choix vu que c'est pour des travaux en groupe, je veux pas laisser les autres dans la merde...
Ha sinon, dimanche dernier je suis aller à un très grand marché où les producteurs locaux vendent leurs produits, du coup on trouve de tout, pas cher du tout et super bon. J'ai donc fais mon gros touriste au marché et je suis revenu avec plein de trucs super cools. Deux ou trois fois j'ai été obligé de demander: hey c'est quoi ça? Fruit ou Légume? On le mange comment? Cuit ou cru? on en fait quoi?
Très gentiment les gens m'ont donné plein de recettes et d'idées chouette et du coup toute la journée on a mangé plein de fruits et de légumes trop bons.
Je vous met les photos de ce qui valent vraiment le détour, vous allez comprendre pourquoi j'ai été obligé de demander...
ça c'est la Guava, c'est des petites branches avec les fruits à l'intérieur, ce qui se mange c'est le blanc, c'est super bon et c'est étrange parce que c'est un peu poilu mais ça fond quand on le mange, c'est pas désagréable. Par contre il faut éplucher beaucoup pour pas grand chose à manger
La granadilla comme on dit ici, je pense que c'est le grenadine en fait.
C'est trop cool, c'est tout gluant et les noyaux sont croustillants.
Voila pour les nouvelles.
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Listening to: Gene Vincent - B-I-Bickey-Bi, Bo-Bo Go
mercredi 2 avril 2008
On a partagé l'Afrique
On l’aura dit et redit. L’Afrique du nord, c’est pas l’afrique. Le sud de l’afrique, c’est pas l’afrique. La Namibie, c’est pas l’afrique. L’Ethiopie, c’est pas l’Afrique. Mais Addis Abeba, c’est pas l’Ethiopie. Et la rue Piassa, c’est pas Addis. La rue Piassa, c’est une rue presque comme une autre, nommée comme ca par les locaux simplement parce qu’elle se trouve dans le quartier de Piassa. De chaque coté de la rue, quelques cafés. Des cafés, des vrais, avec des tables et des chaises posées dehors, où n’importe quel autochtone s’assied, pas nécessairement un homme gras habillé de chaussures en peau de croco, d’un costume à l’américaine et de lunettes de soleil fashion, comme on le verrais le plus souvent au ghana. La, l’autochtone peut commander un café, ou un café au lait. Le café qu’on lui apporte, c’est pas un nescafé. C’est un vrai et bon café, et l’Ethiopie en a fait un trait spécifique de sa culture (et de son économie, un des rares). Je pense que c’est la raison pour laquelle on boit du vrai café à chaque coin de rue à Addis, et du nescafé à Accra, alors qu’on cultive du café dans les deux pays, cette culture.
La rue Piassa est stratégique. Elle relie un des centres de la ville à l’un de ses hotels luxueux. C’est pourquoi de chaque coté de la rue, et à ces cafés, des dizaines de jeunes ont érigés leur retraite, et guettent les touristes qui débarquent pour leur servir de guide d’une manière ou d’une autre. Ces guides sont d’ailleurs souvent sortis de leur village de campagne grâce à l’argent du tourisme ‘sauvage’. Maintenant ils squattent là, il me semble tous les jours et toute la journée, et toujours plus ou moins désoeuvrés. Ils y ont leur monde, leurs incessantes histoires de thunes, leurs commentaires sur les filles, leurs racontars pour les étrangers. C’est là que Sacha a trouvé son ghetto, et il y a ses potes et ses problèmes. C’est la rue vers laquelle on se dirige dès qu’on sort de l’appart’ de Sacha, mais c’est aussi la rue qu’on évite tant qu’on a personne à y voir. En tout cas, Sacha y vit comme un poisson dans l’eau. Clélie, elle, vit entre certains amis qu’elle tient de là bas et ses compagnons du Centre Français des études éthiopiennes qui font leur thèse sur des chose telles que 'les peintures végétales de la pierre de granit de l’église saint george du 17eme siècle de lalibela de…' et où on entend des blagues sur les belges et on cuisine autant des pâtes que de l’injerat, mais peut être plus des pâtes. Les deux ont aussi acquis un niveau impressionant en Amharique, la principale langue ethiopienne, et qui dépasse de dix fois mes trois langues ghanéennes cumulées.
En venant du ghana, on est sincèrement ébloui par la profusion de cafés, restaurants, et hôtels d’Addis abeba. Les magasins avec vitrines y sont courants alors qu’à Accra, ils ne peuplent que les deux rues les plus commerçantes de la ville. Au Ghana, un magasin, c’est le plus souvent un étalage de produit sur une table, et le restaurant, c’est pareil, il est dehors sur la table… « tu le veux mon fufu ? » Heu…oui. Donc on investit pas autant la rue en Ethiopie. En général, l’Ethiopie n’a pas l’excentricité de l’Afrique de l’ouest. Donc devant cette profusion de magasins et en venant du Ghana, j’en croyais pas mes yeux. Fort heureusement, les mendiants de chaque coins de rue étaient là pour conforter mes connaissances du pays. Il faut dire qu’à Addis bien des gens gagnent leur argent d’une manière pas banal, en tout cas pas chez nous. On se prostitue dans les boites de nuit, par exemple pour payer ses études, on crie les destinations et récoltent l’argent des voyageurs dans les minibus de ville alors qu’on a sans doute pas 10 ans, on s’accroche coûte que coûte à un étranger pour lui soutirer l’argent d’une visite, se faire payer sa soirée, ses études ou son visa.
Il faut dire que le tourisme est très développé en Ethiopie, même si pas très encadré. C’est que l’Ethiopie a beaucoup à montrer : sites naturels, historiques ou religieux. La région a aussi cultivé sa singularité depuis toujours, et que ça soit culturel ou naturel, on finit par avoir l’impression que chaque détail est endémique à l’Ethiopie...cette indépendance et cette unité, si anciennes, cette langue, à l’alphabet qui lui est propre, cette religion, une orthodoxie particulière, ce calendrier, Julien qui nous met en 2000, cette gastronomie, à base d’injera, une galette d’une céréale endémique nommé ‘tef’ que l’on remplie de légume viande ou poisson, cet oiseau, cette plante…bordel! Y sont quand même comme les autres nan !?
Un prêtre nous expose un manuscrit religieux dans une église du XVIIème siècle...
Shisha, café torréfié (l'assiette a gauche), et encens dans une maison de cat...
J’ai donc passé une semaine à découvrir la vie d’Addis Abeba et de Piassa, fréquenter les cafés et les restaurants sans presque jamais aller deux fois dans le même (!), sortir dans les boites ou Sacha était accepté (pleines de putes), vivre dans son appart dont l’état a indigné le stagiaire d’une ONG dans l’eau et les sanitaires, et témoigner de son succès auprès des filles (c’est bien simple à Addis il y a Sharuk Khan, l’acteur n°1 de Bollywood, Ronaldo, et Sacha), ou bien trainer les endroits branchés de la ville avec Clélie, essayer les alcools surprenants et bien sur écouter des blagues belges. Après quoi ‘Chacha et Fifin’ (selon la prononciation locale) sommes partis dans le sud du pays. On a loué une voiture, qu’on a conduite pendant un jour, tenté de réparer pendant deux jours, et se faire rembourser pendant au moins dix jours. On a donc continué en bus, et fait un beau voyage parsemé de sources thermales, d’une communauté rasta, de très beaux paysages, de crocro, …Le voyage, ainsi que toute son expérience de l’ethiopie, est relaté sur le blog de Sacha, qu’il a sournoisement caché aux yeux de beaucoup : allez sur overblog.com puis recherchez mission-to-ethiopia (pff, oui je sais).
J’ai voyagé tout seul la dernière semaine dans le nord du pays, qui représente la route historique. C’était très chouette mais j’ai pas grand-chose à raconter. Simplement, l’histoire du pays est passionnante, et l’Ethiopie, même si elle n’est pas plus unique qu’une autre, est clairement sous-publicisée par chez nous.
Je suis donc de retour à Accra après quelques déboires avec Ethiopian airlines, et j’apprécie donc toute la différence avec cet autre pays africain…J’affirme toujours qu’on ne peut pas dire d’un pays qu’il est mieux qu’un autre, mais c’est clair, les jus de fruit et le café vont me manquer…Enfin au final, de retour à Accra je me sens moins perdu en venant d’Addis que je ne l’étais en ressortant de mon bled de campagnard des plaines d’Afram…le dépaysement n’est peut être pas là où on le croit.
Bises à tous!