samedi 5 avril 2008

Algo habran echo

Imaginez-vous cinq minutes,

la France sans Deuleuze, Bourdieu, Godard, Truffaud, Danay, Krivine, Cohn-Bendit, Derrida, Beauvoir, Sartre. Sans non plus Coluche, Mitterand, July, sans les leaders syndicaux qu'on connaît, sans les verts, sans anar de plus de 30 ans, sans les féministes, sans mon prof d'histoire-géo de terminale, sans certains de nos parents, de leurs amis, sans les gens qui nous ont donné envie d'étudier les sciences politiques pour avoir une vision critique.

Imaginez-vous que tous ceux là, vous ne les avez jamais connu, vous ne les avez jamais lu, ni vu leurs production. Personne ne vous a jamais parlé de leur écrits, de ceux qu'ils ont fait, il n'ont jamais contribué à la culture, à la politique de leur pays. Au mieux vous connaissez d'eux des vieilles photos en noir et blanc, portées par leurs mères sur la place de Mai. Il sont soit au fond d'une fosse commune, soit se sont établi à l'étranger et ont du changer de vie, soit il sont ici, mais ressentent toujours les séquelles du traumatisme de la clandestinité ou de l'exil.

Ça ait un peu froid dans le dos non? C'est portant la réalité de l'Argentine.

Il y a 32 ans, le 24 mars 1976, un groupe de militaires dirigé par Videlat, prend le pourvoir au moyen d'un coup d'Etat contre le régime fascisant, décrédibilisé et fragilisé d'Isabelle Péron (la femme de Juan Péron) et de son astrologue avec lequel elle gouvernait. La situation est à la mode en Amérique Latine à cette période, les américains ont déjà aidé Pinochet en 1973 et un groupe de militaires au brésil en 1964 à installer des dictatures de droite dans ces pays. L'Argentine, dans une situation politique plus que trouble (il faudrait un autre post pour expliquer comment ils en sont arrivé là, mais je vous l'épargne pour cette fois) est un des derniers pays sur la liste. Elle connaîtra la dictature la plus dure de tout le continent. Les comparaisons dans l'horreur ne me ravissent pas, mais pour donner un ordre d'idée: si en 30 ans de dictature le Chili recense 3OOO morts et disparus, l'Argentine compte aujourd'hui avec 30 000 disparus en 8 ans de dictature. Toute une génération de militants étudiants, de professeurs, de penseurs, d'activistes, de syndicalistes décimée, exilée ou traumatisée.
Il y a quelques jours je prenais un café avec un économiste d'une soixantaine d'année, à la fin de la discussion, il m'a demandé où je vivais, j'ai répondu: "dans la rue Ecuador, je sais pas si vous voyez, entre la plaza Once et el Abasto, à l'ouest de Balvanera". J'ai vu des larmes monter, sa gorge se nouer, il a bu un peu d'eau avant de me dire "Je vivais au 261 de la même rue, à une cuarda de chez toi, le 14 avril 1978 quand les militaires sont venus me chercher. Ils y ont tout détruit, tout brulé, ont gradé certains de mes articles et des mes photos. Par chance j'étais déjà parti pour l'intérieur, pour 6 ans de clandestinité."

Alors le 24 mars, je suis allée défiler avec des amis, pour cet ami économiste, pour mes amis et ceux qui m'ont influencés en France, pour la liberté et la justice, et un peu aussi parce que, durant l'opération Condor (accord entre les différentes dictatures d'Amérique du sud pour la coopération dans la traque des dissidents) la France, qui, elle cherchait des membre de l'OAS, leur a filer un bon coup de main.

Ce fût la manif la plus impressionnante à laquelle j'ai participé de ma vie. On est arrivé à 2 heures, répondant à l'appel des organisation des droits de l'homme et des mères et grand mères de la place de Mai. Le défilé était très court et dense (à peine 1 km). Très calme, avec quelques tambours et danses, aucun flic. Arrivé place de Mai, le plus surprenant a été le silence. Bs As est une des villes les plus bruyantes du monde. Mais ce jour là, sur la place de Mai, il y a avait un silence terrible pendant que l'on égrainait les noms des assos participantes et que l'on répétait au micro "30 000 desaparecidos presentes! Hoy y siempre!"

Puis, toujours dans le même silence tranquille est arrivé la banderole. Celle qu'on voit dans les journaux et parfois aux infos, quand ils daignent un peu parler d'Amérique du sud. Le drapeau argentin, bleu, blanc, bleu, étiré à l'extrême pour y placer, des deux côté bleus, les photos des disparus. Je ne sais pas combien mesure cette bannière contre l'oubli mais le cotrège qui la portait a bien mis 30 minutes à passer devant moi, qui assise mangeait un chorripan.


A 4 heures, ils ont appelés les gens à se disperser "certains companeros ne peuvent pas accéder à la place." Ça nous semblait court une manif de deux heures mais bon, on a donc décidé de rentrer à la maison en prenant le cortège à l'envers. A 500 mètres de là,un groupe anar cagoulé étirait sa banderole: "Ni dictadura, Ni democracia, Anarquia Ya!" Je dois avouer que ça m'a fait plaisir, le drapeau Argentin étant trop présent dans la manif pour réellement remettre en question le gouvernement (qui y va bien tranquillement pour juger les militaires). En remontant un peu on a croisé tous les groupes Troskistes, le MAS et le PTS entre autres, très nombreux et divisé par quartier qui eux défilait avec beaucoup plus de musique et de tambour, exposant les noms de leurs militants disparu et je vous jure qu'il fesait pas bon être Trosko en 1976 vu la longueur des listes.

La manifestation a réuni dans les rues de la capitale plus d'un million de personnes (chiffres de la police!) et quelque centaines de milliers dans les principales villes. Il faut dire que la plaie est très loin d'être refermée.
La dictature et les généraux qui la conduisaient sont tombés en 1983, lors d'une guerre pour récupérer les îles Malvines aux mains des anglais. La dame de Fer évidemment, n'a pas laissé passer, leur à envoyer toute sa flotte et ses bombardiers; la déroute qui a suivit à été aussi brève que violente. (Ce qui fait à l'heure actuelle des îles Malvines un des territoires les plus militarisé du monde).
Mais 32 ans après, la césure existe toujours entre ceux qui profitèrent de la dictature, pour qui le pays était meilleur, les rues plus propres, moins de vols, moins de gens qui trainent(...et j'en passe) et ceux qui en soufrèrent, qui se cachèrent, qui se taisèrent. Entre ceux qui pense des disparus qu'"Algo habran echo" (ils ont bien dût faire quelque chose de mal pour disparaître ou être emprisonnés) et ceux à qui il manque un frère, une mère, un oncle, un ami dont le seul délit était son affiliation politique.

Et puis la dictature, 30 ans après fait toujours des disparus. Il y a 18 mois, disparu Julio Lopez, un maçon qui travaillait pour construire certains murs de centres de détention. On le fesait travailler sous contrainte et parfois on l'y amenait les yeux bandés. Il était près à témoigner, à dire pour qui et où il travaillait et qui il avait pu croiser dans ces camps lors des procès qui s'ouvrirent il y a deux ans déjà. Il n'a jamais pu témoigner, il n'est jamais arrivé au tribunal. Sa photo était partout, son nom sur toutes les bouches. Mais il n'est malheureusement pas le seul.

Pour info, il y a plus de photos et moins d'explications sur mon profil Facebook (que in que soy!)

3 commentaires:

doudou a dit…

merci beaucoup. Bel article.

Vivien a dit…

les photos en noir et blanc mettent bien dans l'ambiance...y' ecris quoi sur le t shirt?

Pauline a dit…

ah pardon, sur le t-shirt il est écrit:
Nunca Mas. 30 000 detenidos, desaparecidos y asesinados PRESENTES.
Soit:
Jamais plus. 30 000 détenus, disparus et assassinés PRESENTS!