dimanche 6 avril 2008

Hé Didi..

Ce post est une réponse, ou une sorte d’écho à un très beau texte que j’ai reçu sur les femmes africaines.
C’est un (très modeste) hommage, ou une simple pensée à toutes les femmes indiennes, dans leurs jeans ou leurs saris, que j’ai croisé ici, qui m’ont méprisé ou sourit. Que j’aime ou que je déteste selon les jours. Que je fascine ou que je révulse.

Tableau 1
Elle marche comme une actrice Bollywood. Perchée sur ses talons, elle fait doucement onduler ses hanches sous sa kurta. Ses cheveux de princesse, noir et raide, marque le rythme, dans un mouvement savamment étudié. Elle a toujours les ongles tellement impeccablement faits. Immenses et vernis. Elle fait des mines, elle fait des moues. Tous les garçons sont amoureux d’elle. Elle savoure l’effet qu’elle provoque. Elle sourit, et son visage s’illumine. Son visage à la peau qu’elle trouve sans doute trop foncée, trahissant un peu l’identité qu’elle porte.

Aujourd’hui elle est sur l’estrade, face à la classe. Elle présente le projet qu’elle a fait pour le cours de socio sur la modernité indienne. Elle parle dans cette langue qui m’est familière m’est toujours inconnue (sans doute comme tout le reste de ce pays).
Et puis sa voix se brise, des larmes. La prof lui donne de l’eau et lui demande de continuer, avec une voix douce mais ferme.
Quelque chose se passe dans la salle.

L’explication me parviendra plus tard. Par la traduction de la prof, qui s’excuse de ne pouvoir transmettre qu’imparfaitement ce qui vient de se passer.
Elle vient simplement de se raconter. De raconter sa modernité. Dalit. D’une caste chargée de nettoyer la merde des autres.
La mort de son père. Une famille de dalits sans homme. Moins que rien parmi les moins que rien.
Sa mère qui abandonne le salvar kemis (la tenue traditionnelle). L’éducation, le mariage inter-caste de sa plus grande sœur, qui compromet les chances de mariages pour les plus jeunes sœurs.
Son envie d’être « moderne ». D’échapper à son identité qui lui colle à la peau. Par son nom même. Sa culpabilité aussi à être « moderne ».

Les réactions fusent. Les castes se dévoilent dans la classe. Certains garçons dalits qui expliquent qu’il ne faut pas pleurer, jamais, qu’il faut simplement se battre. Que pleurer s’est accepter ce qu’on a subit.
Elle répond que c’est son droit. Que tout ne peut pas être rationnel. Que cette émotion là et aussi légitime.
Et après tout, les castes n’ont rien de rationnelles.

Tableau 2
Elles sont belles dans leurs vêtements de couleurs. Des jupes à froufrous, roses, jaunes, bleues, à fleurs ou à fruits. Un voile sur la tête. Couvertes de bijoux, bracelets aux chevilles, aux poignets, boucles d’oreilles, boucles de nez. Leurs visages et leurs mains tatouées, ou décorées au hennés. Elles ne portent pas le saris mais la tenue traditionnelle du Rajasthan. Sur leurs blouses de jolis petits miroirs.
Assises par terre elle prennent leurs petits déjeuners, à l’ombre d’un tas de brique et d’un tas de sable.
Un bébé dort à l’ombre, pendant que l’autre tète sa mère qui continue tranquillement à papoter…

L’équation est simple.
Les briques et le sable doivent être transportés au deuxième étage du bâtiment. Sur leurs têtes.
Toutes la journée, pendant quelques semaines elles feront les allers retours, droites et menues, avec ces énormes sacs sur la tête.

C’est grâce à la tête des femmes indiennes que ce pays se construit. Elles transportent de quoi faire des routes entières ou des immeubles rutilants.

Elles regardent les blanches et les blanches les regardent, fascination mutuelle. Communication impossible. Sourires timides.

Et puis l’une d’elles, un peu plus imposante, un peu moins timide ose. Elle se lance. Elle demande à mon amie que je la dépose en moto un peu plus loin.
J’accepte. Frémissement d’excitation parmi les Indiennes. L’opération est périlleuse. Les froufrous s’assoient sur la moto, en amazone bien sûr, puisque les motos indiennes sont spécialement conçues pour ça. Ses amies lui tendent ensuite son panier, puis le bébé.
En route… L’indienne s’accroche à mon t-shirt. Elle est fière. Et moi j’ai tellement peur d’abîmer le tout petit bébé que je transporte.
Arrivée à destination saines et sauf. Un peu mal au bras pour moi…
L’indienne descend. Pose le panier en équilibre sur sa tête, cale le bébé sur ses hanches.
Et me lance toute fièrote, avec un petit sourire : « Bye bye.. »

Tableau 3
Enceinte de quelques mois, elle te toise de derrière son bureau. La chaleur est étouffante dans la salle remplie du sol au plafond de dossiers qui prennent la poussière. Les fonctionnaires tamponnent, maussades.
Entre son gros ventre et toi, ton dossier. Trois semaines que tu attends le petit tampon qui t’autorisera à rester dans ce pays…
Elle te regarde, tu la regardes, elle évalue combien elle peut espérer te demander…
Tu t’agaces. Elle se lance et glisse : peut être que tu devrais faire un cadeau pour le bébé…
Tu glisses les sous dans ton passeport, lui tends le passeport, la procédure habituelle…
Elle tamponne, puis râle, parce que tu n’as donné que 1000 roupies…

Tableau 4
Kushumita. Ca sonne comme une pâtisserie trop sucrée. Mais elle est en fière de son prénom, elle t’explique que c’est un nom de fleur (c’est toi qui y comprend rien, avec ton prénom qui veut rien dire)
Elle est bengali, et s’entête à parler dans sa langue natale même en face de toi. L’anglais ça l’emmerde.
Elle est toute en rondeur. Pas un os. Dans sa kurta rose bonbon, elle ressemble tellement aux fameux sweets de sa région. Beaucoup trop sucrés pour moi.
Imposante, écrasante. Elle râle.

Elle a 20 ans et ses parents lui ont trouvé un bon parti. De sa caste évidemment. Bengali évidemment.
Et moi je l’imagine, énorme ogresse, avec son petit mari sur les genoux…

Tableau 5
Elle te croise dans les couloirs. Elle a peu près ton age. Elle pourrait presque avoir l’air gentille.
Elle s’agrippe à la bretelle de soutien gorge qui dépasse de ton débardeur et la remarque cingle. « this is not good »
Tu restes sans voix. Tu voudrais lui dire que tu t’en fous. Que tu l’emmerdes.
Tu voudrais lui demander pourquoi elle aussi elle te rend la vie impossible.
Tu voudrais lui dire que c’est pas cette fichue de bretelle de soutien gorge qui est « not good », mais la force de cette p.. de société patriarcal, dont le plus grand succès est que ce soit les femmes elles mêmes qui assurent le contrôle sur le corps des femmes.

Tableau 6
Elle est grasse. Ses bourrelets dépassent de son sari. Elle est vieille et grincheuse. Tu sais d’avance ce qu’elle pense de toi, la blanche, symbole de tous les vices et de la westernisation décadente…
Elle regarde ta copine qui savoure sa cigarette. Son moment de détente et de liberté. Le court moment ou elle refuse de se soumettre, malgré les regards désapprobateurs. Elle a tout accepté, de porter la kurta, de renoncer aux décolletés, de baisser les yeux dans la rue, mais elle garde le plaisir de la cigarette.
Dans un anglais incompréhensible elle te hurle dessus. Tous les regards se tournent vers vous mais personne ne prendra ta défense. Tu comprends à travers les mots qu’elle est révoltée de voir une fille fumer, et qu’elle exige que ta pote éteigne sa cigarette immédiatement. Sa copine renchérit, regardant la bouteille d’eau sur la table, elle lance : « Et en plus, elles boivent »
Ta colère monte. Tu te tournes vers la grosse indienne, et tu lui dit que tu n’es pas un chien.

Tableau 7
Amrita. Mon amie.
Elle ne marche pas, elle vole, quelques centimètres au dessus du sol. Légère et gracieuse avec son petit corps de danseuse.
On passe des heures à papoter et refaire le monde, et à se raconter ce que vous ferez quand vous serez grande.
Tu lui as promis que tu serais là pour son mariage, mais tu lui as fait promettre qu’elle refuserait un mariage arrangé.
Elle a les cheveux courts, malgré la désapprobation générale, et ses yeux noirs toujours soulignés d’un trait de khôl.
Elle veut apprendre à conduire la moto aussi. Conduire aussi la pulsar « ultimatly male » , histoire de faire enrager un peu les hommes indiens…

Un jour tu l’as vu pleurer, et tu as compris le prix de tout ça.
Et la solitude des indiennes qui rêvent d’autres choses.
Tu te déteste de partir et de laisser toute seule au milieu de ce pays.

8 commentaires:

doudou a dit…

Ouahou, bravo, très jolie texte! Ce blog atteint un niveau en ce moment... du coup j'ai l'aire tout con avec mes posts de fruits =)

Vraiment un jolie texte et en plus ça fait super plaisir de voir deux ou trois point positifs dans tout ça.
ça manquait.

Merci.

sarahalaconfiture a dit…

je suis vraiment pessimiste d'habitude?

Titwan a dit…

woh, franchement...

coup de chapeau pour ce magnifique texte !


biz à tous, avec la hâte de vous revoir.
(mais bon, surtout mon bro')

doudou a dit…

t'inquiète mec j'arrive =) avec plein d'envie de vous revoir aussi.
Merci pour tes photos.

Et oui Sarah, d'habitude c'est pas autant plein d'entrain, de douceur, de beauté. Je dirais qu'il y a bien plus de sérénité dans celui là.

Encore bravo.

Vivien a dit…

chouette!...mais je ne vois pas plus de gaieté que ca...?

Anonyme a dit…

Au delà du pessimisme, vers la plénitude… juste la sérénité d'un regard qui refuse de se baisser, qui explore et qui cherche… je suis si fier de toi !
tu sais, ton prénom il signifie quelque chose : princesse
ne l'oublie pas quand tu voyageras dans des pays qui le comprenne
tendresse

Anonyme a dit…

le regard d'une femme sur une autre femme est toujours acéré, teinté d'admiration,d'indifférence, de mépris, c'est selon...mais quand il se met à observer vraiment, à s'émouvoir en tous genres et à se glisser dans tes mots pour en faire part au monde...c'est beau !
sourire au passage

Anonyme a dit…
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